Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Les Aléas des Mots

25 novembre 2005

DIABOLO PECHE

DIABOLO PECHE

-         Un diabolo pêche, s’il vous plait. Avec des glaçons si ça ne vous dérange pas.

-         Tout de suite mademoiselle.

-         Merci.

J’ai souris poliment à la serveuse et regardé autour de moi. Il faisait un peu frais et la terrasse était peu remplie. Un jeune couple était assis, à deux tables de moi. La jeune femme mangeait un croissant et avait posé sa main sur celle de son compagnon qui fumait une cigarette. Une Marlboro à en croire le paquet rouge posé sur la table ronde, juste à côté du cendrier. Les parasols étaient rangés à l’abri des intempéries, et n’attendaient plus qu’un rayon de soleil pour être ouverts.

Seule, n’attendant personne mais espérant toujours la venue d’un ami, d’un amour, ou d’un pur mais bel inconnu, je regardais passer les voitures, comme une vache au bord d’une route de campagne.

De routine en habitude, ma vie était ainsi faite. Je rêvais d’un futur, oubliais le passé, et ne vivais finalement pas le présent.

J’attendais. Il ne se passait jamais rien, et encore aujourd’hui, j’allais à coup sûr rentrer chez moi, dans mon deux pièces du 13ème, quartier italien majoritairement, jadis chinois, sans que rien de palpitant

ne se soit passé. La nuit allait tomber, les boîtes branchées de Paname

la Grande

allaient ouvrir leurs portes et j’irais me coucher, pour finalement m’endormir devant un navet à l’eau de rose, les yeux mouillés. Et toute ça dans la ville, première destination mondiale. Oui madame.

Mon couple d’amoureux était toujours assis, à se regarder dans le blanc des yeux en discutant. Je tendais l’oreille pour participer à leur insu à leur conversation. Il était question d’enfant. Tiens donc, il ne se passe rien chez moi, mais l’opération «  Fille ou garçon » venait d’être lancée à quelques mètres de moi. La jeune femme était très émue d’annoncer que son test de grossesse était positif. Monsieur complimentait madame, il lui disait qu’elle sera superbe avec un ventre tout rond, qu’il était le plus heureux des hommes. Il se leva et  l’embrassa tendrement sur le front. Elle lui sourit avec amour. Ses yeux brillaient. Trêve de romantisme,  il se ralluma une clope, peut-être stressé à l’idée subite de devenir père. Et si c’était des triplés ? Tu ne serais pas dans le caca. Mon angle de vue était bon, et en observant le cendrier, je pouvais compter cinq mégots. J’eus soudain l’envie idiote de me lever et d’aller dire au charmant futur papa qu’il devrait songer à arrêter de fumer s’il ne voulait pas que sa dulcinée accouche d’un asmathique. Mais je n’ai rien fait. Mon esprit sarcastique s’était effacé, et finalement je les trouvais adorable ces amoureux. Je les jalousais. J’approchais la quarantaine, et je n’avais toujours pas eu l’occasion d’annoncer que mon test était positif.

Ma vie sentimentale ressemble à celle de Bridget Jones. A un détail près. A la fin, elle part au bras de Hugues Grant. Dans ma fin à moi, ça repart comme au début.

Et eux ils étaient là, juste à côté de moi, layettes ceci, landau cela.. Du bonheur en veux tu en voilà..

-         Votre diabolo madame.

-         Ah ! Merci.

-         Voici la note, trois euros vingt.

J’ai vite payé. Et puis j’ai bu mon diabolo pêche tellement vite qu’en partant, les glaçons étaient aussi gros que lorsque la serveuse me les avait apportés. Le bonheur des autres, c’est mignon comme tout, mais à petite dose. Et puis il fallait rentrer. Je n’avais pas vu l’heure et je devais filer à la station Saint Ambroise  pour prendre le métro, ligne neuf. J’étais à peine à cinquante mètres du souterrain, mais le métro passait dans quelques minutes. Je devais aller voir ma copine Sabine, pour lui ramener un DVD..

Je me suis levée, et j’ai filé, pas comme une voleuse, mais comme une fille pressée. C’est la mode de toute façon.

Je me suis insérée comme j’ai pu dans un métro bondé, et j’ai fait comme tout les autres : regarder mes chaussures comme si je les voyais pour la première fois, jusqu’à ce que je descende. J’ai marché jusque chez Sabine, croisé un ancien collègue de boulot. Il m’a invitée à boire un diabolo pêche «  tu adorais ça je me souviens, avec des glaçons », mais j’ai décliné l’offre, lui précisant que j’étais très pressée, que j’allais voir ma mère à l’hôpital.

-         «  Merde, rien de grave j’espère ?

-         Non, un cancer. Salut ! »

Il m’a regardé partir, je sentais ses yeux sur moi. Un hypocrite ce type. Le genre qui vous cire les pompes par devant et qui vous poignarde par derrière. Bref..

J’ai eu ma mère au téléphone. Très ‘prout prout’ :

-         Tu sais que Marie Caroline s’est acheté une nouvelle Opel ? Grise.

-         Hmm.

-         L’ancienne était déjà grise.

-         Hmm.

-         Et pourquoi Opel.

-         Hmm. Je ne sais pas maman. Ecoute, il faut que je te laisse. Je.. Je vais voir un ancien collègue de boulot à l’hôpital.

-         Crotte alors, rien de grave j’espère ?

-         Non, un cancer. Salut maman. »

Et j’ai raccroché. J’avais décidé que l’humanité toute entière m’ennuyait à mourir. Sauf Sabine. Mais Sabine adore vivre avec cinquante chats dans un petit appartement. Plus il y a de chats et plus l’appartement est minuscule, plus Sabine est épanouie. Chacun son truc, moi les minous, j’y suis allergique. Alors je ne rentre jamais chez Sabine. Je sonne.

-         Salut ma belle, je viens te rendre ton DVD.

-         Oh, merci, je n’y pensais même plus. Ca va ?

-         Oui. Enfin non. J’ai vu assez d’amour et de bonheur pour trois vies. Je te raconterai. Je file, je commence à suffoquer avec tous ces poils qui ronronnent à mes pieds. Je sens que je vais tourner de l’œil.

Sabine a ri, elle ri tout le temps, sauf quand un de ces chats se fait écraser. Ca arrive plus souvent qu’on ne l’imagine. Malgré les embouteillages, les gens roulent comme des cons à Paris. Dans ces cas là, on va boire un coup, au bistrot de la station Saint Ambroise. «  Un diabolo pêche s’il vous plait, avec des glaçons ».

Je suis rentré dans mon deux pièces, j’ai fermé à clé derrière moi et je suis partie me faire couler un bain. Très chaud. Avec des petites boules qui fondent au contact de l’eau bouillante. Parfum vanille des îles. Je les achète à la pharmacie, c’est assez cher mais il est inscrit sur la boîte que la vanille a des effets anti-stress. Comme je suis stressée, et surtout comme j’achète les dernières conneries qui sortent, je me retrouve à prendre un bain avec des boules de pacotille.

Le téléphone m’a réveillée, alors que je m’étais assoupie dans l’eau. C’était ma mère.

-         «  Ton ancien collègue va mieux ?

-         Hein ?

-         Mais Chouchou, tu me disais tout à l’heure… à l’hôpital..

-         Ah ! Oui… enfin bof, il fait des rayons, un peu de chimio, il perd ses cheveux mais il n’en avait déjà pas beaucoup alors..

-         Tu es sans cœur, le pauvre.

-         Oui, je sais.

-         Je t’ai parlé de la nouvelle Opel de Marie Caroline ?

-         Oui, elle est bleue je sais.. Maman je vais…

-         Grise. Comme l’ancienne.

-         Hmm.

-         Je te laisse, la voilà justement qui arrive. Entre ma chérie. Bon.. je te laisse.

-         Oui. Bisous maman.

J’ai raccroché, et à cet instant j’étais prête à les manger mes boules de bain anti-stress. Je suis partie me coucher. Enfouie sous les couettes, je regardais un navet sous titré en allemand «  Die Blume von die Welt ».

Je repensais au petit couple que j’avais croisé au bistrot. Leurs projets, leurs futurs enfants, la grossesse de madame. Je m’imaginais la première échographie, la décoration de la chambre.

Tout ce bonheur auquel je n’accéderai peut être, sans doute jamais, parce que j’approche de la quarantaine et que je suis célibataire .C’était trop pour une seule femme en si peu de temps.

Je me suis quand même endormie, quelques heures plus tard, en revoyant le futur papa du bistrot embrasser le front de sa fiancée.

Sept heures, le lendemain. Le réveil a sonné. J’ai appuyé avec énergie sur le bouton et j’ai fait taire l’abominable alarme.

J’ai pris une douche pendant que le café coulait. Moka turc s’il vous plait. Le vrai. La vieille jeune femme qui se ruine en Lavazza.

Je me sentais mal à l’aise, sans raison apparente.

Je suis allée chercher le journal, auquel je m’étais abonné quelques mois auparavant. Gros titre : Attentats de Londres : Le quatrième auteur présumé arrêté par Scotland Yard dans son appartement de Notting Hill. J’ai brièvement lu les articles concernant l’actualité internationale. Ce matin là, je me sentais concierge et j’avais l’envie folle de m’attarder sur les faits divers. Entre deux feux de cheminées et l’agression d’une mémé dans un square de Pantin, un article attira particulièrement mon attention : Une jeune femme enceinte renversé par un chauffard. A mesure que mes yeux parcouraient les lignes de l’article, je sentais les battements de mon cœur s’accélérer.

La jeune femme était en train de traverser la route près de la station Saint Ambroise pour rejoindre la voiture de son ami lorsqu’un automobiliste a perdu le contrôle de son véhicule et l’a percutée. Enceinte de trois mois, elle est décédée quelques heures plus tard à l’hôpital Cochin. Le chauffard, légèrement blessé a quant à lui, été placé en garde à vue. Son taux d’alcoolémie révélé par l’éthylotest dépassait 0,8 grammes par litre d’alcool dans le sang. L’affaire sera déférée lundi matin au parquet, et l’homme sera jugé pour homicide involontaire.

…………………………….

Bip bip bip biiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiip.

-         Laissez moi deviner, un diabolo pêche avec des glaçons ?

-         Non. Un whisky s’il vous plait.

Il y a des jours comme ça, où il vaut mieux qu’il ne se passe rien.

Diabolo pêche, nouvelle de notre temps. Je vous propose de suivre le narrateur dans un épisode de sa vie. Une vie au demeurant imprévisible qui pourrait bien devenir la votre...

Publicité
Publicité
Les Aléas des Mots
Publicité
Publicité